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D'élégants vestiges de Gatumba rappellent des jours prospères mais pour beaucoup de Burundais, les lieux évoquent surtout des souvenirs douloureux : un bébé sauvé des eaux in extremis, une maison qui s'écroule, la vie qui s'arrête et reste suspendue aux crues du lac Tanganyika.
"Nous sommes sous l'eau depuis des années", résume auprès de l'AFP Asha, une mère de quatre enfants de 32 ans chaussée de bottes de caoutchouc, dans son salon à nouveau immergé.
Le réchauffement climatique a aggravé les crues du deuxième lac africain, au-dessus de son niveau normal depuis 2018, empêchant souvent la rivière Ruzizi de s'y jeter, selon des experts. En conséquence, le cours d'eau et son embouchure débordent, inlassablement.
En 2023, de lourdes pluies ont provoqué des inondations qui ont poussé des milliers de personnes, dont la famille d'Asha, à chercher refuge sur des sites temporaires à proximité. Mais ces sites ont eux-mêmes été inondés un an plus tard.
Certains ont été déplacés dans des camps plus loin. Asha et sa famille ont alors choisi de rentrer à Gatumba.
Cette ville à la périphérie de Bujumbura, la capitale burundaise, se développait tous azimuts il y a quelques années encore, grâce à ses terres fertiles et à son dynamisme économique lié à sa proximité avec la frontière congolaise.
Mais les eaux ont depuis avalé de nombreux quartiers, devenus fantomatiques. Des enfants naviguent au milieu de nombreuses maisons désaffectées sur des radeaux faits de bouteilles en plastique.
Les crues qui arrivaient "jusqu'à la taille" ont également détruit les cultures et les écoles, raconte Asha, qui vivait autrefois de ses récoltes. Aujourd'hui, sa famille a souvent faim, soupire-t-elle, et ses enfants sont coincés à la maison.
"Ce n'est pas que nous ne voulons pas déménager. Nous ne pouvons pas nous le permettre à cause du manque d'emplois", explique-t-elle.
- "Tout perdu" -
Le Burundi est l'un des pays les plus pauvres du monde, classé 187e sur 193 par l'ONU pour son indice de développement humain. Il est aussi particulièrement fragilisé par les effets du réchauffement climatique, avec de lourdes conséquences pour sa population.
Environ 16.000 Burundais sont actuellement déplacés en raison de catastrophes naturelles, estime le chef de mission de l'ONG Save the Children dans le pays, Geoffrey Kirenga, interrogé par l'AFP, soulignant que le chiffre varie régulièrement.
En 2024, des pluies diluviennes, aggravées par le phénomène climatique El Niño, avaient fait près de 100.000 déplacés et emporté des vies humaines, bien qu'aucun bilan n'avait été donné.
Ariella, mère de sept enfants, fait partie de ces sinistrés climatiques. Sa famille et elle vivent dans le camp de Gateri, situé sur une zone vallonnée dans le nord du pays.
Egalement originaire de Gatumba, elle raconte avoir "tout perdu" en 2020. Sa maison s'est écroulée, l'un de ses bébés - heureusement rattrapé de justesse - a manqué d'être emporté par les flots. Sa famille a ensuite été déplacée dans deux camps successifs. Où "l'eau est revenue", souffle-t-elle.
Elle vit désormais plus loin de la Ruzizi, et à l'abri des crues, mais les terres sont plus pauvres et l'argent manque, tandis que des coupes drastiques dans l'aide humanitaire commencent à se faire sentir, notamment dans les rations alimentaires.
"Nous nous demandons souvent à quoi ressemblera notre avenir", raconte Ariella, qui se refuse à retourner à Gatumba, car, dit-elle, l'eau y cache hippopotames et crocodiles. "Ce sera sans aucun doute très difficile."
- Choléra -
L'augmentation du niveau du lac est cyclique, souligne le professeur burundais Bernard Sindayihebura, mais le réchauffement climatique l'a aggravée, tandis que la construction "anarchique" dès l'époque coloniale dans le pays l'a rendu particulièrement vulnérable.
A Bujumbura même, sur la rive nord du lac Tanganyika, des parties de routes et bâtiments sont immergés.
M. Sindayihebura croit encore à l'avenir de ces quartiers, à condition de construire des digues. Mais il faut pour cela que le niveau du lac "extrêmement déréglé" retourne à la normale. Ce qui prendra "10 ans au minimum", estime-t-il.
Face à ce problème insoluble, Save the Children demande des fonds pour continuer à aider les plus vulnérables, alors que l'administration Trump a suspendu 83% des projets humanitaires américains, quand les Etats-Unis fournissaient jusqu'ici 40% du total de l'aide mondiale.
A Gatumba, certains, comme Asha, tentent de vivre avec les crues. Son mari Claude, 30 ans, raconte que des résidents ont construit l'année dernière une digue artisanale - à l'efficacité limitée. D'autres ont installé des tentes sur leurs toits pour échapper aux eaux et aux herbes hautes ayant pris possession de nombreux bâtiments.
Les habitants restant font ce qu'ils peuvent, remarque Jean-Marie Niyonkuru, chef du quartier de 42 ans.
Mais la vie dans les crues n'est pas sans conséquences : "les enfants souffrent de diarrhée car l'eau s'est mélangée aux eaux des toilettes, inondant ainsi les rues. Il y a beaucoup de choléra".
Q.Yam--ThChM