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Sabbirrul Alam livre des repas commandés en ligne à Bucarest, mais cet immigré bangladais a cessé de travailler la nuit depuis que l'un de ses compatriotes a subi une agression raciste.
"J'ai peur", confie à l'AFP ce travailleur de 29 ans qui circule à vélo dans la capitale roumaine, choqué par cette attaque au cours de laquelle son confrère a été frappé au visage et traité "d'envahisseur".
"Apparemment la colère monte chez les gens", ajoute le jeune homme arrivé en Roumanie en mai 2024, arborant une casquette ornée du drapeau roumain.
L'attaque a eu lieu fin août après un appel au boycott lancé par un des dirigeants du parti d'extrême droite AUR à l'encontre des livreurs étrangers.
Début novembre, un coursier sri-lankais a essuyé des crachats, été frappé avec un câble et insulté à la suite d'une altercation routière dans une ville proche de Bucarest.
Il a porté plainte, avant de se rétracter.
Après la médiatisation de cette agression, le Bloc national syndical, le second syndicat du pays, a annoncé offrir une assistance juridique et un soutien gratuits à toutes les victimes d'abus ou de harcèlement.
"Malheureusement, il ne s'agit pas du premier cas de ce genre et ces récidives sont profondément préoccupantes", a déploré le syndicat dans son communiqué.
- Affiches anonymes -
Signe d'un climat qui se dégrade, certains livreurs écrivent désormais qu'ils sont roumains sur leur sac à dos, comme le montrent des images diffusées sur les réseaux sociaux.
Le président roumain Nicusor Dan a dénoncé l'attaque du mois d'août comme un "acte de violence xénophobe", encouragé par la propagation de "discours incitant à la haine envers les étrangers".
"Les mots ont des conséquences, parfois dramatiques", a-t-il écrit sur X.
Plusieurs travailleurs ont confié à l'AFP avoir subi des traitements dégradants.
La plupart des gens sont toujours accueillants, affirme Ruban Jayathas, un informaticien sri-lankais de 47 ans installé en Roumanie depuis 15 ans. Mais il s'inquiète de la montée en puissance des messages haineux.
"Je n'aurais jamais imaginé ça", dit-il à l'AFP.
En octobre, des affiches anonymes mentionnant l'arrestation d'un Nigérian pour viol sont apparues dans le centre de Bucarest, incitant les habitants à "défendre leur ville".
Elles ont été retirées par la police, qui a indiqué à l'AFP ne pas disposer de statistiques concernant l'évolution des attaques contre les travailleurs étrangers.
Cependant, dans un rapport publié en octobre, le Conseil de l'Europe a estimé que "la présence croissante des propos haineux dans le discours politique, dans les médias et en ligne" était devenue "préoccupante" en Roumanie.
- Fausses informations -
Le nombre d'employés non européens a augmenté régulièrement ces dernières années dans le pays de l'Union européenne, atteignant 140.000 fin 2024.
Un chiffre modeste au regard de ses 5,7 millions d'employés et 19 millions d'habitants.
La plupart d'entre eux viennent du Népal, du Sri Lanka, de Turquie et d'Inde, pour pallier la pénurie de main d’œuvre dans plusieurs secteurs économiques.
Car selon un rapport de l'Autorité européenne du travail (ELA), une agence de l'UE basée en Slovaquie et spécialisée dans le domaine du travail transfrontalier, la Roumanie est particulièrement concernée.
Depuis son adhésion en 2007, elle est en effet confrontée à un départ massif de sa population en âge de travailler vers des pays plus prospères de l'Union, la contraignant à recourir à des partenariats internationaux.
Romulus Badea, le président de la Fédération des importateurs de main d’œuvre, espère que ces attaques, isolées pour l'instant, ne vont pas devenir "un phénomène".
Il déplore la hausse des discours de haine contre les travailleurs étrangers sur les réseaux sociaux, porteurs d'accusations fausses selon lesquelles ils "viennent voler nos emplois".
Dans une société fortement polarisée, les élections présidentielles de l'an dernier ont vu l'émergence d'un candidat d'extrême droite, avant l'annulation du premier tour du scrutin et la victoire en mai du pro-européen Nicusor Dan.
Au parlement, des formations opposées au recours à l'immigration légale occupent désormais un tiers des sièges.
N.Lo--ThChM