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Économiste, opposant puis président: Alassane Ouattara, désigné samedi par son parti pour briguer un quatrième mandat à la tête de la Côte d'Ivoire, est devenu le maître du jeu politique dans son pays qu'il gouverne depuis 2011, au risque d'être accusé de confisquer le pouvoir par ses détracteurs.
S'il accepte cette investiture, il fera figure de grand favori pour le scrutin présidentiel prévu le 25 octobre, en l'absence des principaux leaders d'opposition, exclus de l'élection par des décisions de justice.
Ses partisans le martelaient depuis des mois: il est leur candidat "naturel" et à bientôt 84 ans - il les aura le 1er janvier -, il reste le leader incontesté de la majorité. L'opposition, elle, l'accuse de "dérives autoritaires" et de choisir ses adversaires.
Alassane Dramane Ouattara (ADO) a longtemps tourné autour du pouvoir. Après une longue carrière au Fonds monétaire international (FMI) et à la Banque centrale des États d'Afrique de l'Ouest (Bceao), il est appelé pour être Premier ministre en 1990 par le "père" de la nation ivoirienne, Félix Houphouët-Boigny (1960-1993).
Né à Dimbokro en 1942, dans le centre de la Côte d'Ivoire, ce musulman malinké (ethnie du nord) marié à une Française chrétienne a accompli la majeure partie de sa scolarité au Burkina Faso voisin et a longtemps été désigné comme un Burkinabè.
A la mort d'Houphouët-Boigny, en 1993, sa nationalité ivoirienne est remise en doute par les tenants de l'idéologie xénophobe de "l'ivoirité".
En 2000, sa candidature à la présidentielle est rejetée pour "nationalité douteuse", puis la Côte d'Ivoire bascule deux ans plus tard dans une profonde crise politique qui coupe le pays en deux pendant quasiment une décennie.
Les partisans de M. Ouattara soutiennent une rébellion et contrôlent le Nord face au pouvoir du président Laurent Gbagbo (2000-2011) qui tient le Sud.
La crise atteint son paroxysme lors de la présidentielle de 2010: cette fois M. Ouattara peut participer et l'emporte. La victoire est contestée par M. Gbagbo et la Côte d'Ivoire s'enfonce dans des mois de violences, qui feront plus de 3.000 morts et qui aboutiront à l'arrestation du président sortant.
- Infrastructures et inégalités -
Devenu président, ce libéral francophile, adoubé par la communauté internationale, parvient à séduire les investisseurs qui reviennent rapidement en Côte d'Ivoire, où beaucoup est à reconstruire.
14 ans plus tard, il vante son bilan macroéconomique et un pays transformé: premier producteur mondial de cacao, une croissance dépassant quasiment chaque année les 7%, des routes, des ponts, l'électrification rurale, des stades...
Mais les inégalités restent importantes, tout comme la corruption, et ses détracteurs lui reprochent un endettement incontrôlé (autour de 60% du PIB), ainsi que de profondes lacunes dans l'éducation et la santé publique.
Sur la scène internationale, l'organisation - et la victoire - de la Coupe d'Afrique des nations (CAN) en janvier 2024 est un succès.
Pendant son troisième mandat, Alassane Ouattara a aussi vu la situation sécuritaire au Sahel se dégrader.
La Côte d'Ivoire doit désormais composer avec des voisins dirigés par des juntes militaires qui lui sont hostiles - en particulier le Burkina Faso - et dont les territoires sont infestés de jihadistes. Une menace qu'elle réussit pour l'heure à endiguer.
"L'Afrique a très peu de dirigeants comme Ouattara. Il a l'expérience, la sérénité, la connaissance du monde, c'est un interlocuteur essentiel dans la région", assure un proche du président.
Sur le plan interne, le pays a retrouvé la stabilité mais reste gouverné d'une main de fer et les manifestations sont rarement autorisées.
Sur le plan de la réconciliation, peu de partisans du camp Ouattara ont été jugés pour les crimes de la crise de 2010-2011, mais après son acquittement définitif par la justice internationale, Laurent Gbagbo a pu rentrer en Côte d'Ivoire en 2021.
Il a été gracié un mois plus tard, laissant penser que les plaies de la crise étaient en train de se refermer.
Mais dans le jeu politique, le technocrate Ouattara est devenu celui qui dicte le tempo et il n'ira pas jusqu'à amnistier son vieux rival, le laissant ainsi hors course pour la présidentielle de 2025.
"Si on ne laisse pas aux autres la capacité de se battre pour être au pouvoir, ce n'est plus la démocratie", tance Laurent Gbagbo.
Réélu en 2015 avec 83% et en 2020 avec plus de 94%, après une révision contestée de la Constitution, Alassane Ouattara se dirige vers un nouveau score fleuve en l'absence des principaux opposants.
En 2020, il avait dit vouloir passer la main. Mais le décès de son dauphin, Amadou Gon Coulibaly, l'avait poussé à rempiler pour une élection qui sera marquée par des violences faisant 85 morts.
Depuis, Alassane Ouattara a souvent répété qu'il avait "une demi-douzaine de successeurs potentiels".
Ils pourraient attendre encore quelques années.
L.Johnson--ThChM